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La Tortue

La  Tortue, tenace et patiente, est symbole de longévité. Avec constance, et sans craindre d'user du temps nécessaire, elle avance. Dans la plupart des contes africains, la tortue incarne l'intelligence et la perspicacité ; elle parvient à ses fins, sans bruit, grâce à son endurance.
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Avec la

COMPAGNIE

GABY SOURIRE

Bilan de l'atelier 2009/2010 mené avec la classe de 3ème D du Collège Clemenceau.

 

« Portraits de jeunes, du Burkina Faso à la Goutte d’Or »

 

1) Rappel du projet

Ce projet est né d'une rencontre entre les protagonistes à l'association « les Enfants de la Goutte D'Or » (EGDO), en juin 2009.

Le cadre

 

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Dans le cadre ou dans le prolongement de leurs cours de français, les élèves de 3ème D étaient invités à participer à cet atelier encadré par :

  • Leur professeur de français, Madame Cannoodt,

  • Une intervenante appartenant au collège, Madame Herrera, professeur d'espagnol.

  • Deux intervenantes extérieures au collège, Sylvie Rubé, pour l'association La Tortue Voyageuse, Sylvie Haggaï pour la Compagnie théâtrale Gaby Sourire.

 

Les objectifs

 

Il s'agissait de partir de lettres de jeunes burkinabè, collégiens et lycéens, écrites dans le cadre d'un concours organisé au Burkina Faso par « La Tortue Voyageuse ». Les auteurs de ces lettres avaient pour objectif en les écrivant de se faire connaître et d'avoir des liens avec des jeunes élèves en France.

L'objectif de l'atelier était de produire à partir de ces lettres des écrits sous forme de réponses, de mener une activité de lecture, puis de faire connaître ce travail.

 

Les actions prévues.

 

Un premier temps devait être consacré à la lecture, à la prise de connaissance de ces lettres. L'atelier devait être inauguré par une exposition des lettres des jeunes burkinabè en novembre 2009 à l'occasion de la venue en France du responsable burkinabè de l'association « la Tortue Voyageuse », Roger Ouédraogo.

 

Puis on devait passer à un travail de production écrite. Il serait demandé aux élèves de rédiger à leur tour des lettres pour se faire connaître des jeunes burkinabè.

Un travail de prise de vue de photos devait accompagner le travail d'écriture, afin que les lettres soient accompagnées de portraits photographiques, comme celles des jeunes burkinabè.

 

Enfin, une exposition devait se préparer afin de mettre en regard les lettres des jeunes burkinabè et celles des jeunes français. Cette exposition devait donner lieu à une lecture publique des lettres, ce travail de lecture étant encadré par Sylvie Haggaï de la compagnie Gaby Sourire.

 

L'écriture des lettres

 

L'activité de production écrite des lettres devait se dérouler pendant les ateliers. Dans leurs écrits, on demanderait aux élèves :

  • De se présenter.

  • D'évoquer leur environnement dans ce qu'il a de différent de celui qui est décrit dans les lettres des jeunes burkinabè.

  • Plusieurs jeunes burkinabè parlent dans leurs lettres de ce qu'ils ont appris des vieux, de leurs parents ou de leurs grands parents. On pourra évoquer dans les lettres le rôle que jouent ou que ne jouent pas ici les vielles personnes pour nous transmettre leur savoir.

  • De raconter comment ils imaginent leur avenir.

2) Comment s'est déroulée l'activité.

 

Novembre 2009 : Après plusieurs rencontres entre les 4 personnes porteuses du projet (Mme Cannoodt, Mme Herrera, Sylvie Haggaï et Sylvie Rubé), l'atelier a débuté par une présentation du projet aux élèves dans la classe en présence du Principal, Monsieur Tarragon et de Roger Ouédraogo, invité burkinabè de « La Tortue Voyageuse », puis l'exposition des portraits de jeunes burkinabè, avec un vernissage très officiel au sein du collège.

 

Décembre 2009 – mai 2010 : 12 séances de travail d'une heure ont eu lieu au collège sur le temps scolaire, pendant l'heure de Vie de Classe (horaire que le professeur principal de la classe, Monsieur Lauthrey, avait bien voulu laisser à notre disposition). Durant ces séances, les deux intervenantes extérieures étaient toujours présentes. Le travail d'écriture et de lecture se sont menés conjointement ou alternativement, parfois en scindant la classe en deux groupes.

 

  • En décembre, une activité d'écriture a été proposée sous forme de « cadavres exquis ». Après mise en forme, un travail de lecture s'en est suivi.

  • En janvier – février, une première série de lettres a été écrite par les élèves.

  • En février – mars, les lettres ont été emportées au Burkina Faso par nos soins et nous en sommes revenus avec les réponses des jeunes burkinabè.

  • En mars – avril – mai, Il y a eu un travail de découverte et de lecture de ces lettres arrivées d'Afrique, puis à nouveau travail d'écriture pour y répondre. Une séance de prise de photos a eu lieu. Dans le même temps, Sylvie Haggaï, après plusieurs répétitions, a élaboré avec les élèves la mise en scène des lectures.

  • Les 11 et 14 mai 2010, ont eu lieu deux restitutions publiques du travail dans le cadre de la manifestation « Barbès l'Africaine ».

 

3) Les observations que nous en tirons.

 

L'adhésion de la classe au projet : Dès le début de cet atelier, en novembre, les élèves ont fortement adhéré au projet. Ils ont toujours adopté une attitude de gratitude et de respect pour l'attention que nous leur portions. Lors des rares moments pendant lesquels nous avons été seules avec les élèves, ils sont toujours restés calmes et constructifs. Nous avons perçu à travers cette action la cohésion de la classe.

 

Les contenus des lettres écrites par les élèves

 

Plusieurs questions sont abordées de façon récurrente :

La représentation toujours positive de la classe : « Dans ma classe il y a beaucoup de gens différents mais rien que pour ça je ''kiffe*'' ma classe », du quartier : « J'habite en France à Paris dans le 18ème c'est un joli quartier », « Je me plais bien où je suis, les gens du quartier sont très sympathiques, tout le monde se connait... », et aussi du pays dans lequel nous vivons : « je vis en France dans un magnifique pays ».

L'évocation de son origine : « Je suis d'origine tunisienne », « je suis chinois », « je suis d’origine sénégalaise, je suis peul », etc... Cela n'a semble-t-il posé de problème à aucun élève. Notons que tous les jeunes burkinabè répondent aux collégiens de Clemenceau, comme en écho « Je suis d'origine burkinabè » !

La préoccupation de l'avenir se retrouve dans presque tous les écrits : « j'aimerais être esthéticienne », et la même, quelques mois plus tard : « je ne veux plus faire esthéticienne mais traductrice car je parle plusieurs langues »; un autre : « J'ai envie d'être businessman plus tard ».

L'évocation de soi : Dans leurs lettres, beaucoup d'élèves livrent des éléments intimes qui touchent à leur famille, leurs goûts, leurs amitiés, leurs plaisirs. Mais ce travail d'écriture ne s'inscrivait pas dans le cadre d'un auto-portrait qui aurait touché la personne dans son aspect le plus narcissique. Ici, on s'inscrivait dans une relation, des lettres. Les élèves ont parlé d'eux-mêmes sans que cela relève d'une injonction. Ils ont accepté de lire devant nous ces passages. Nous avons toujours répondu à leurs questions, à celles qui touchaient la pudeur, la crainte d'avoir à s'exposer. Évidemment, cela ne pouvait avoir lieu que parce qu'il régnait entre adultes une parfaite entente et par conséquent une relation de confiance entre eux et les élèves.

 

L'impact des lettres des jeunes burkinabè

 

Le travail sur l'histoire

 

Notre objectif était non seulement d'évoquer si possible l'intime, l'image de soi, mais aussi d'ouvrir la possibilité d'aborder les récits familiaux, l'inscription du jeune dans une histoire, son histoire. Jeu auquel s'étaient prêtés si volontiers les burkinabè dans leurs premières lettres.

Nous savons à quel point, au moment de l'adolescence, c'est un sujet intime, délicat, mais fondateur. Pour grandir, il faut des racines. Aborder cela exige des conditions : le respect, la confiance et aussi le sentiment de sécurité donné par un cadre rigoureux. Selon nous, toucher à cela, c'était faire toucher du doigt au jeune l'importance qu'il y a à se sentir enraciné dans une histoire, c'était aussi, en valorisant ces « histoires », travailler à l'estime de soi. Pour cela, nous avions un outil, les lettres des jeunes burkinabè dans lesquelles ces derniers s'adonnent à des recherches sur l'histoire de leur propre famille, de leur village, avec beaucoup de noblesse (c'est le mot de Monsieur Tarragon).

 

Dans la classe, pas de burkinabè, tant mieux! On a correspondu avec des africains, quelques enfants de la classe sont issus de familles originaires elles aussi d'Afrique de l'ouest, mais les burkinabè, là-bas, sont autres et c'est ce qui a permis de prendre du recul, de ne pas se sentir atteint dans sa propre identité lorsque nous parlions de la vie des ces gens là.

 

La production de ces écrits a nécessité un accompagnement très individualisé. Nous allions nous asseoir auprès de chaque élève, lisions avec lui son écrit, l'aidions à l'améliorer. Je lui racontais ce que je savais de son correspondant burkinabè, son histoire, sa famille. Le temps s'est avéré insuffisant pour aller jusqu'au bout de cette tâche d'accompagnement personnel à l'écriture.

 

Ici, notre attention était particulièrement tournée vers les élèves les plus en difficulté. Ainsi, un élève dont on nous disait qu'il n'adhérait jamais à aucune activité en classe, s'est mis à tenter d'apprendre au jeune burkinabè des éléments de sa langue maternelle, à écrire sur l'amour du pays où il est né. Un autre a commencé à tracer son arbre généalogique. Le plus émouvant, c'est ce jeune, en difficulté scolaire : Dans sa première lettre, il parlait de football et de l'équipe algérienne qu'il soutenait. Après avoir reçu la lettre du jeune burkinabè, il lui raconte :

 

« Mon grand-père a fait la guerre contre la France et il est mort à la guerre contre la France, et comme l'Algérie à ce moment appartenait à la France, lorsque mon père s'est marié avec ma mère, ils sont venus en France et ils y ont vécu jusqu'à maintenant ».

 

Rien que pour la phrase de cet élève, nous pouvons considérer que l'atelier a atteint son but : Cet événement, probablement fondateur de l'histoire de sa famille, est écrit là en toutes lettres, ce jeune peut en être fier. Citons à ce propos Benjamin Stora, historien spécialiste de l'Algérie, à propos de la quête identitaire : « [...] Les jeunes de cette nouvelle génération se considèrent français de manière évidente, banale, certaine, et à partir de là ils se posent la question de leurs origines. Ils sont en quête de leur histoire, de leur généalogie personnelle familiale et collective » (Lire la suite dans le Nouvel observateur, 17-23 décembre 2009).

 

Un échange dans les deux sens

 

Les réponses des jeunes burkinabè ont été de véritables stimulateurs.

Lorsque nous échangeons avec le Burkina Faso, nous avons à l'esprit des représentations, comme par exemple celle de ce pays, l'un des plus pauvres du monde, se mettant en relation avec un autre, la France, un des pays les plus riches du monde. Qui va aider qui ?

Les jeunes burkinabè qui ont écrit les lettres, pour la plupart en classe de 2de, 1ère, terminale, ont franchi des obstacles redoutables : Environ 10% seulement des enfants franchissent le cap de l'école primaire. Seulement 20% sont reçus au Brevet en fin de 3ème. Il y a aussi les abandons de ceux qui n'ont pas les moyens de poursuivre. Ceux qui entrent en seconde sont donc d'excellents élèves, déterminés, combattifs, décidés à se battre pour poursuivre leur scolarité, tous issus pourtant de milieux modestes, le plus souvent fils d'agriculteurs.

Au Burkina, je leur ai donc expliqué : « Ces enfants de 3ème qui vous ont écrit en France sont pour beaucoup en difficulté scolaire, vous allez devoir les aider ». De fait, dans leurs lettres, ils écrivent : « COURAGE ADAMA ! », « Je te souhaite bonne chance pour ton brevet et surtout dans les études », « Je crois que tout ira bien par le chemin dans lequel nous avons emprunté ».

Pour certains, ici, recevoir ces encouragements, ces longues lettres écrites dans un français un peu désuet, littéraire, c'était se sentir objet d'intérêt, cela donnait envie d'écrire à son tour.

Une partie de la classe, dans un bel élan collectif, stimulée par l'envie de répondre aussi à cette attention dont elle était l'objet, a décidé ceci : « Dans mon collège, rapporte une fille, nous avons créé une association qui ce nomme ''Barbès jette un coup d'œil à l'Afrique''. Cette association permet d'aider les pays d'Afrique en envoyant des médicaments, des vêtements, des jeux, des outils, etc.. ». Réponse citoyenne, envie d'agir collectivement.

Alors, qui aide qui?

 

La Tortue Voyageuse est très soucieuse de ce principe de réciprocité : Dans cette histoire, chacun a quelque chose à apprendre et à recevoir de l'autre.

 

Du dessin à la parole, de la parole à l'écrit

 

Dans la classe de 3ème D, certains étaient tellement en difficulté face à l'écrit que rédiger la première lettre devant les témoins que nous étions, même bienveillants, était chose impossible. Nous leur avons suggéré : « fais un dessin ! » Un garçon a dessiné une voiture, un autre une maison (« la Maison Blanche, la maison d'Obama » !) et un autre s'est contenté d'un ''graph'' à partir de son prénom. Voici la réponse du jeune burkinabè faite à ce dernier :

 

« Ma matière préférée à l'école sont les sciences physiques et la philosophie. En effet, j'aurais voulu une lettre bien rédigée de votre part; mais on m'a fait savoir que vous étiez en stage; le temps vous manquait. Pour cela je vous souhaite beaucoup de courage ».

 

Passé le moment d'émotion en lisant cette lettre si bien dite, l'élève s'est mis à la tâche pour répondre. Nous étions à ses côtés pour l'aider à cette élaboration.

Passer de l'image brute à l'élaboration symbolique du langage écrit n'est pas simple pour tout le monde.

Pour conclure...

 

A l'issue de cette expérience passionnante, nous éprouvons pourtant un sentiment de frustration. Les objectifs étaient ambitieux, certains n'ont été qu'effleurés.

Après entretien avec le professeur de français, nous pensons avoir contribué à la cohésion de la classe, au soutien des élèves les plus en difficulté, à la valorisation de tous dans une activité génératrice de connaissance et de plaisir. « J'ai lu vos lettres et j'ai vu vos photos, elles nous ont énormément plu. La ''Tortue Voyageuse'' est une bonne association car elle nous a permis de vous découvrir et aussi votre culture », écrit une élève. Et du coup, ajouterai-je, « de nous découvrir aussi nous-mêmes ».

 

Les élèves ont appris à lire en utilisant leur voix, à respirer, à sentir leur corps lorsqu'il parle et à affronter le public lors des lectures, fièrement.

 

Nous sommes deux associations implantées dans le quartier et cette implantation a pour nous un sens. Notre travail se fait sur le long terme. D'où notre souhait de rebondir sur de nouveaux projets s'appuyant sur cette première expérience. Un travail avec de tels objectifs, selon nous, demande du temps.

(Sylvie Rubé, 15 mai 2010)

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